Service de Chirurgie Sénologique, Gynécologique, Plastique et Reconstructrice - Paris Professeur Fabrice Lecuru - Institut Curie - Cancers du sein, cancer de l'ovaire, cancer de l'endomètre, cancer du col de l'utérus
  • Cancer de l'ovaire - L'immunothérapie du cancer

    L'immunothérapie du cancer

    Chapître rédigé par Pr JE Kurtz, Service d'Oncologie Médicale, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, 1 Av Molière 67098 Strasbourg



    L'immunothérapie « moderne » des cancers repose sur les travaux des deux prix Nobel de médecine 2018, James Allison et Tasuku Honjo, pour leur découverte des points de contrôle du système immunitaire. Pour comprendre le fonctionnement des inhibiteurs des points de contrôle du système immunitaire, il faut avoir quelques notions d'immunologie.

    1) Notre système immunitaire est entraîné à reconnaître des antigènes « extérieurs » à l'organisme
    2) Notre système immunitaire doit reconnaître nos propres antigènes pour ne pas les attaquer
    3) Les cellules de notre organisme présentent leurs antigènes via les protéines du CMH ou complexe majeur d'histocompatibilité que sont les molécules HLA de classe I ou II
    4) Certains cancers présentent plus de mutations que d'autres, et par là-même présentent de nouveaux antigènes (alias néo-antigènes) au système immunitaire. Toutes les mutations ne sont égales pour cela, mais par souci de compréhension, on conviendra que plus il y a de mutations, plus il y a de néo-antigènes, et plus la tumeur sera susceptible de répondre à une immunothérapie.

    Les bases de l'immunothérapie anticancéreuse reposent donc sur deux étapes cruciales de l'activation de la réponse immunitaire T (médiée par les lymphocytes T) :
    i) Une première étape où les lymphocytes T vont être activés par les cellules dendritiques (de la famille des macrophages) qui leur « montrent » un antigène tumoral via les molécules du CMH. Cette action de stimulation positive est néanmoins régulée par une action opposée, inhibitrice, médiée par le contact entre une molécule du lymphocyte T appelée CTLA4 et son partenaire CD80 situé sur la cellule présentatrice d'antigène. Ce système est donc à l'équilibre, du fait de la co-existence d'actions opposées. Néanmoins, cet équilibre maintient le lymphocyte dans un état d'activité insuffisant pour déclencher une action antitumorale efficace.
    ii) La deuxième étape a lieu dans la tumeur. Les lymphocytes T activés vont migrer vers cette dernière, par voie lymphatique ou hématogène et infiltrer les tissus tumoraux. Ils vont pouvoir reconnaitre les antigènes tumoraux pour lesquels ils ont été « éduqués » via leur « T-cell receptor » (ou TCR) et déclencher une action cytotoxique. Cependant, il existe là aussi une action inhibitrice car la cellule tumorale va exprimer une molécule (PDL-1) qui va reconnaître son partenaire sur le lymphocyte T (PD1). L'interaction PD1/PDL1 va exercer une action inhibitrice sur le lymphocyte T, contrebalançant l'activation médiée par le TCR. On assiste là à l'extinction d'une réponse cytotoxique qui aboutit à un épuisement des lymphocytes T, devenus incapables de déclencher une action cytotoxique.

    Au total, l'inefficacité du système immunitaire dans la lutte contre le cancer peut reposer sur plusieurs notions :
    1) L'absence d'antigénéicité des tumeurs qui présentent peu de mutations (charge mutationnelle basse) et qui ne vont pas répondre à l'immunothérapie, faute de néo-antigènes
    2) L'absence d'infiltrat lymphocytaire dans la tumeur (tumeurs « froides » ou « exclues »)
    3) Un équilibre inadéquat entre stimulation et inhibition des lymphocytes T dans leur activation par la cellule dendritique par l'interaction CTLA4/CD80
    4) Une extinction de la réponse cytotoxique dans la tumeur médiée par l'interaction PD1/PDL-1

    L'immunothérapie des cancers repose, en 2018 sur une action pharmacologique qui vise à rétablir un équilibre efficace au niveau des deux points de contrôle du système immunitaire. On comprend donc aisément que cette action thérapeutique a pour but d'interférer avec les interactions entre CTLA4 et CD80 d'une part, ainsi que PD1 et PDL-1 d'autre part.

    Dans le premier cas, l'administration d'un anticorps monoclonal (par voie IV) anti-CTLA4 va déplacer CD80 de CTLA4, et l'interaction inhibitrice n'aura plus lieu. Il ne restera « que » l'interaction activatrice médiée par le complexe CMH/Ag et TCR, le lymphocyte T sera activé et prolifèrera.

    Dans le deuxième cas, l'interaction inhibitrice PD1/PDL1 sera rompue par l'administration d'un anticorps monoclonal anti-PD1 ou anti-PDL-1. Il ne restera alors « que » l'action stimulatrice de l'antigène de la tumeur reconnu par le TCR du lymphocyte T, qui exercera son action cytotoxique.

    Dans la réalité les choses sont plus complexes en raison de la coexistence de nombreuses interactions simultanées entre les cellules impliquées dans la réponse T, mais de très nombreux essais ont démontré la pertinence de cette nouvelle classe d'anticancéreux en apportant des résultats inespérés dans bon nombre de tumeurs, dont le mélanome, le cancer bronchique, le cancer du rein, les cancers ORL etc. En oncologie gynécologique, des essais sont en cours, principalement dans le cancer de l'ovaire en rechute sensible aux sels de platine, mais des perspectives très intéressantes se présentent dans certains cancers de l'endomètre ou du col de l'utérus.
    Il ne s'agit toutefois pas d'une arme magique, car l'efficacité antitumorale n'est pas toujours au rendez-vous, et car ces traitements ne sont pas dénués d'effets secondaires, mimant les maladies auto-immunes, parfois graves, qu'il convient de reconnaître et de traiter précocement. Certains mécanismes de résistance commencent à apparaître, nécessitant la poursuite des recherches afin de mieux appréhender la biologie des cancers que nous sommes loin de bien comprendre.

    Néanmoins, nous ne sommes qu'au début de l'ère de l'immunothérapie du cancer, et une quantité de travail considérable reste à faire, pour mieux utiliser ces nouveaux anticancéreux, en monothérapie, en association avec la chimiothérapie, la radiothérapie, voir les inhibiteurs de PARP. Il s'agira d'un travail pluridisciplinaire, associant biologistes, oncologues médicaux et radiothérapeutes, radiologues, sans oublier les chirurgiens.